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À travers les yeux d'un HPI, ce monde est si étrange...
15 novembre 2009

Le culte du nabot savant

"Un gosse c’est mignon", là, je suis la doxa. Je trouve les enfants innocents, peut-être que c’est parce c’est des enfants, mais d’ici-là, leur innocence n’a pas la notion du mal, et dès lors ils peuvent être assez cruels, j’ai dit cruels, pas méchants, je ne connaissais pas beaucoup de semblables qui aient été gentils, mais d’ici là à les qualifier de méchants, c’est tout autre chose. Un gosse mignon et intelligent, c’est un trophée. Un gosse mignon et TRES intelligent, c’est une attraction. Je parle de l’enfant physiquement. Être un enfant mentalement, c’est autre chose. Je vous parle là de l’entité « bourgeon d’humain incomplet ».

Un enfant d’amis de mes parents savait à six ans toutes les capitales des pays du monde. Les « Christian, c’est quoi la capitale de la Moldavie/ Cuba/ l’Ukraine/ l’Albanie ? » fusent, ce à quoi le petiot répondait suivant les cas Chisinau (sans dictionnaire)/ La Havane/ Kiev ou Tirana après un temps d’hésitation rythmé de « mais oui, tu sais » et de sourires tendus, vouloir que son enfant aie l’air d’un surdoué, c’est plutôt ridicule, surtout que pour moi c’est plus une tare qu’autre chose. Le même gamin est maintenant silencieux et émet des onomatopées étranges devant sa Gameboy DS, ses parents voulaient faire de lui un informaticien brillant, c'est un geek comme tous les autres.

J’en ai été un de ces macaques savants. Un macaque savant à coupe carrée vêtu d’une robe rouge bordeaux en velours, avec un col Claudine et un ruban attaché derrière le dos, assis devant un piano avec des doigts qui courent sur le clavier, une froideur émotionnelle sans égale, et surtout, les pieds qui ne touchent pas le sol. Un macaque, c’est petit, donc c’est intéressant. Une espèce de réplique de l’adulte, une projection malsaine de ce que l’adulte aurait voulu être. Les humains ne sont définitivement pas fréquentables.

Puis j’ai grandi mentalement mais surtout physiquement. Mes jambes se sont allongées, je n’ai plus voulu porter de robes pendant un moment, préférant le jeans troué et les bracelets à breloques et à clous, mes pieds ont touché les pédales et mes doigts se sont allongés jusqu’à pouvoir jouer des choses que j’aime et qui évidemment ne correspondaient plus au niveau de tolérance aux artistes fous des spectateurs qui aimaient les chansons populaires et populeuses, dans le style les arrangements pour piano des valses viennoises(je trouve ça atroce), de « La vie en Rose » (bon pour passer pour la bonne fifille et provoquer les sourires niais), ou lorsqu’on accepte la beauté du classique, les petites pièces de Bach pour sa fille, les sonatines de Mozart où aucune dissonance volontaire ne dérangeaient leurs oreilles. Chopin, voire certaines pièces de Débussy est la limite. Brahms est un peu violent, Turina, Granados et les autres contemporains (surtout espagnols), Prokofiev, on oublie, c’est trop un « trip de pianiste ».

Maintenant, pour se la jouer connaisseur inspiré, on me demande de jouer un morceau, en général un truc qu’on a déjà entendu. Ma réponse est d’abord le non sonore et sans efficacité aucune comme je vous l’avais expliqué. Mais évidemment, c’est là le moment où vos parents décident de vous trahir. J’envie sans fin Martha Argerich qui à dix-sept ans a réussi à annuler un concert. Je l’admire mais je ne l’envie en pas, dès qu’on commence à envier quelqu’un qu’on adule, ça devient malsain. Mais rien que cette action de dire non et que le non fonctionne, j’ai trouvé ça d’une classe indicible. Enfin tout cela pour vous dire que ma voix est un accessoire qui sert à donner une image de fille joliment timide et un brin rebelle, et que je me retrouve à jouer du Chopin en tirant la tronche pour des gens qui croient que c’est du Beethoven.

Les filles d’une amie de ma mère étaient gymnastes. La fierté de leur Maman, à coup sûr. Des vraies pestes selon ma sœur, à coup sûr aussi. Qui est-ce qu’on croit ? La mère. Elle est plus âgée que ma sœur.

Le principe de l’enfant trophée, je m’en rappellerais à vie. J’avais six ans. Je ne jouais pas encore du piano. Je savais juste dessiner, et en secret, j’avais appris à lire, seule, puis à écrire. Une amie de ma mère lui a alors dit que c’était TRES mal, que je serais MARGINALISEE, si j’apprenais à lire avant les autres. Ma mère ayant un problème avec ses parents et ne voulant surtout pas m’éduquer à la dure comme eux, mon père n’ayant pas eu une enfance conventionnelle, ils ont écouté, penauds. Dès lors, j’ai appris à faire autre chose : à jouer au parc, faire de la balançoire, du toboggan, à chanter des comptines, à aller à la pêche, faire du vélo et dessiner des jolies familles heureuses et des jolies maisons, sans savoir que derrière mon dos, quelques années plus tard, cette même bonne femme apprendra à lire à ses enfants de force (pas elle, son tyran domestique chrétien intégriste de mari, pauvre chose). J’ai perdu tant d’années pour rien. La vie est courte. De plus elle est gâtée par des gens qui ont un problème contre les enfants qui apprennent à lire. Détruire le trophée de sa rivale avant qu’il ne surpasse le sien. Sauf que là, le trophée est un enfant. Elle est belle l’humanité.

Et puis il y a celles qui ne détruisent pas, pas suffisamment vicieuses et méchantes pour le faire, mais suffisamment méchantes pour savoir mentir. L’adulte est un être profondément méchant. Je ne sais pas où je me situe, peut-être que je suis parmi les méchants.

Les mères sont des femmes, les femmes sont souvent des commères, les commères discutent, donc les femmes peuvent discuter. C’est donc lors d’un de ces cafés entre mères que ma génitrice écoute toutes sortes d’inepties. Et le pire c’est qu’elle y croit. Elle y croit que ces enfants peuvent décrocher la lune et la remettre à sa place en s’excusant de l’avoir dérangée. Elle y croit que ces gamins là ont toujours la note maximale, que leur enfant est un ange qui dit Bonjour-Merci-Bonne Journée- Au Revoir, qui leur apporte le déjeuner le matin, qui sont très doués en sport et qui chantent comme des chérubins. Elle y croit, dur comme du béton. Elle a deux filles hyperactives qu’elle n’arrive parfois pas à gérer, quitte à partir en pleurant et à se faire consoler par ses filles mêmes. Alors elle se morfond jusqu’à arriver à me dire :

-          Tu sais, quand je parle aux autres, mes amies, elles ont toujours quelque chose à me raconter à propos de leurs enfants. Moi je n’ai rien à dire.

C’est comme si à ce moment là une flèche vous traversait le cœur. Je n’ai pas pleuré, contrairement aux autres fois. J’ai serré les dents.

Dès lors, il n’a été question que de plaire. De plaire à tout prix, d’être la meilleure partout et de tout savoir, tout le temps. Quand je me retourne, c’est eux qui l’ont voulu au départ, et c’est moi qui me suis mis la pression toute seule, jusqu’en pleurer quand la note n’était pas bonne, jusqu’en pleurer pour un sept sur dix, jusqu’en pleurer d’avoir une condition physique faible, jusqu’à me priver, jusqu’à ce que ça en devienne inconscient, jusqu’à devenir un trophée, une attraction insipide. Ce que je ne savais pas, c’est que ces discussions entre mères étaient un pieux mensonge, celui de la femme qui idéalise.

Un jour, j’étais en train de discuter avec l’enfant de l’une d’entre elles, alors que ma mère était en train de discuter avec la génitrice perfide. Une discussion technique sur des arts martiaux que ma mère connaît à peine. Le quota de pompes et d’abdos à faire en cas de retard aux entraînements. Deux cent voilà le forfait.

Et à la fille de se tourner vers moi en me disant : « ne t’inquiète pas, c’est pas vrai ».

Ma mère a quelque chose à dire de moi. Ce qui a changé ? Rien, elle est toujours aussi discrète. Ce qui a peut-être changé, c’est que maintenant, je sais que j’ai travaillé d’arrache pied sur un mensonge, oui, mais aussi, j’étais arrivée à un niveau réel qui dépassait ce que ces langues de vipères pouvaient imaginer même dans leurs images toutes faites de l’archétype de l’enfant. Je me suis sentie idiote de m’être donné tant de mal, mais d’une autre façon, c’est elle qui a perdu son temps en s’alourdissant de mensonges qu’elle peinait de plus en plus à cacher, à mesure que l’adolescence et le semblant de discernement attaquait ses enfants…

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